J’ai entendu un jour un homme raconter que la responsabilité sociale et le développement durable des entreprises sont pures balivernes. À son avis, les entreprises se dotent de ces politiques seulement pour apaiser leur conscience et pour poursuivre leurs objectifs d’avidité. Il estime que les entreprises en font seulement pour redorer leur image.

C’est alors que je me suis mis à réfléchir sur la conscience sociale des entreprises au 21e siècle. D’abord, les entreprises du passé étaient souvent des entreprises familiales ancrées dans le milieu. Les dirigeants prenaient soin des gens du milieu en priorisant leur embauche sans égard pour leur expertise ou leurs compétences. Il était fréquent de voir l’entreprise mettre ses ressources à la disposition de la communauté. Les dirigeants affectaient leur entreprise au service de leurs convictions et ils suivaient un code de moralité. 

Maintenant, les entreprises aux prises avec la mondialisation des marchés et avec la concurrence n’ont pas d’autres choix que de jouer selon ces règles si elles veulent survivre. Les employés et les dirigeants doivent répondre à des descriptions strictes des tâches nécessitant une spécialisation pointue dans de nombreux champs de compétences. Dans ces conditions, comment peut-on demander aux entreprises d’avoir une conscience sociale alors qu’elles ne sont qu’une unité institutionnelle définie par un projet répondant seulement à des besoins financiers? Les personnes physiques qui, elles, sont dotées d’une conscience n’ont plus un rôle prépondérant, mais sont plutôt englouties et asservies aux objectifs fixés par le marché.

Nous vivons une ère de transition, car autrefois les dirigeants et les parties prenantes d’une entreprise avaient la capacité de faire du développement durable ponctuellement sans même reconnaître ou identifier leurs actes comme tels. Il est tout à fait normal, selon moi, que le balancier reprenne le juste milieu après la montée d’un développement économique financier interprété salutaire par l’ensemble de la communauté internationale. Comme dans tout mouvement de masse, il nous a fallu du temps avant de nous rendre compte que nous piétinions les valeurs durables comme l’environnement et l’intérêt des générations à venir. Face à ces enjeux, après que nous ayons réduit la responsabilité individuelle des personnes physiques qui travaillent dans les entreprises, nous voyons maintenant ces enjeux se greffer aux entreprises par la responsabilité collective. Nous constatons le retour d’une conscience, mais qui, cette fois, s’applique d’une façon extrinsèque.

Voilà plusieurs années que le secteur philanthropique prône ces valeurs de développement durable et de responsabilité sociale. Nous pouvons nous estimer heureux d’avoir joué un rôle précoce dans l’éveil de la conscience collective. Maintenant, nous pouvons toujours continuer à croire que le marché financier est devenu maître de notre destin, comme s’il était doté d’une conscience malveillante et que nous sommes liés par lui, ou nous pouvons croire que nous sommes les seuls responsables de son avènement et que nous pouvons prendre autorité en y insérant des valeurs de développement durable. Continuons donc à mettre de l’avant ces principes de développement durable et ayons la patience de les voir s’affermir.

– Ronald Lepage, directeur de La Sortie