J’étais au club quand ils ont annoncé le confinement à la télé. Ça faisait déjà quelques jours que le présage d’une espèce de fin des temps planait ici, alors que les clients se faisaient de plus en plus visiblement attendre avec un degré d’impatience qui lui aussi augmentait à vue d’œil depuis qu’on avait commencé à entendre parler du COVID-19 dans les médias…

Et puis il n’y avait pas que les médias, on ne parlait plus que de ça entre nous aussi, et bien qu’on en avait toutes plus qu’assez d’être prises ici du lundi au lundi, au fond on ne ressentait que de la peur à l’idée que les portes des endroits publics se retrouvent toutes fermées dans moins de quelques heures.

C’est donc comme ça que tout a commencé, à la manière des pires cauchemars qui s’entament naturellement alors qu’on ferme les yeux pour trouver du repos.

« Les clients ont la belle partie du jeu »

On est entrées dans la quarantaine à reculons, le cœur rempli de craintes et les poches vides de notre dernier chiffre qui n’avait pas été très payant. Quelques semaines plus tard, je peux vous confirmer que mes revenus n’ont fait que baisser, et même si je reçois quelques in-calls à chaque semaine, il me faut toujours m’obstiner sur les prix. Les clients on la belle partie du jeu, c’est comme s’ils savaient qu’on est économiquement plus fragiles que jamais.

Je texte quelques-uns de mes réguliers, prétextant de vouloir prendre de leurs nouvelles pour essayer d’obtenir de l’aide financière, mais ils sont pour la plupart dans leurs familles. L’un d’entre eux me propose de venir déposer une épicerie complète, mais mon copain, qui gère mes revenus, prend ça comme une insulte. De toute façon je sais de plus en plus que ça n’est pas dans l’épicerie que passe l’argent que je fais, mais bien dans l’alcool et la drogue dont mon chum a tant besoin.

Pour maintenir l’entrée d’argent, il m’a fait comprendre avec des menaces qu’il me faudrait me plier aux requêtes de ma nouvelle clientèle. Je ne veux pas m’acharner à vous décrire les choses que j’ai dû faire. Pour les autres filles c’est pareil, on doit faire tout et n’importe quoi à la fois pour continuer à faire de l’argent.

« C’était trop intense pour moi »

Après la première semaine de confinement, j’en ai eu assez et j’ai refusé la demande d’un client. C’était trop intense pour moi, et ce jour-là il me manquait cette force de me sortir de moi, que j’utilise d’habitude, comme un superpouvoir qui me sert à arriver à supporter le pire du pire.

Mon chum n’a pas trouvé ça drôle, quand il a appris ce qui s’est passé il m’a battue avec plus de force que jamais. Le jour suivant, je ne pouvais pas prendre de client, j’avais le visage bleu d’ecchymoses. Il m’a battue de plus belle.

Cette scène est rapidement devenue ma nouvelle routine. Je me sens anéantie, je n’ai aucun contact avec l’extérieur. On dirait que tout ce qui existe en ce Monde, ce sont les clients et les coups. Les autres filles qui habitent avec nous en intermittence (deux d’entre elles voyagent constamment entre différentes maisons, mais elles finissent toujours par revenir ici) sont toutes dans le même état que moi.

Je n’aurais jamais cru dire ça un jour, mais j’ai hâte qu’ils ouvrent le club à nouveau question d’avoir un répit de toute la violence qui est devenue mon quotidien.


De l’aide pour les victimes

La situation de pandémie mondiale de coronavirus a entraîné plus d’un changement dans la vie des femmes victimes d’exploitation sexuelle. Les établissements de l’industrie du sexe ont fermé leurs portes aux clients et la majorité des activités prostitutionnelles se déroulent ainsi dans les maisons et appartements ou les victimes d’exploitation sexuelle résident.

De plus, les filles et les femmes qui sont prises dans l’industrie du sexe sont confinées avec leur conjoint, auquel elles réfèrent souvent aussi comme étant leur gérant ou leur booker. Il s’agit en fait de leur proxénète.

Les ressources d’aide se font plus difficiles d’accès, alors que plusieurs résidences d’hébergement n’acceptent pas de nouvelles femmes à cause des risques liés au COVID-19. La Sortie a reçu un volume d’appel de nouvelles participantes déplorablement plus faible pendant le confinement. Nous continuons toutefois le suivi avec d’anciennes participantes et recevons des appels en référencement direct.

Nous demeurons une ressource disponible pour les victimes pendant le confinement, et toute notre équipe œuvre actuellement à préparer « l’après pandémie ».

Ainsi, quand le confinement achèvera, nous prévoyons que les besoins seront encore plus grands, car les femmes qui sont forcées à participer à l’industrie du sexe sont présentement en quarantaine avec un proxénète, ce qui a pour effet de faire augmenter la violence dans les foyers. Les activités prostitutionnelles elles aussi ont dû s’adapter, puisque l’offre et de la demande ont suivi les changements du marché qui lui, s’adapte aux circonstances qui le décrit.

Nous souhaitons vous rappeler que notre ligne d’aide demeure ouverte pour les victimes d’exploitation sexuelle. L’équipe de La Sortie est avec vous de tout cœur en ce temps de crise.

Nous pouvons vous offrir une sortie !