2020, Montréal.

Alors que plusieurs sont en train de repasser en boucle dans leur tête les résolutions du nouvel an qu’ils viennent de prendre, je me réveille au milieu de l’après-midi, les yeux encore bouffis de fatigue de la veille.

J’ai travaillé jusqu’aux petites heures du matin, j’ai mal au dos, mal aux jambes, je me sens vide de toute forme d’énergie.

Recroquevillée sur un vieux matelas posé à même le sol, je repense à ma soirée du nouvel an. Je repasse dans ma tête les événements, et je me rends compte que j’en ai vraiment eu assez de me faire tirailler par toutes les violences imaginables, les petites comme les grandes, psychologiques et physiques. J’ai trop mal.

C’est comme ça que j’ai décidé d’arrêter de me prostituer en 2020, et de reprendre ma vie en mains.

Je sens que je fais le bon choix, j’ai hâte de travailler dans un autre milieu, de faire autre chose.

  • Mais tu vas aller faire quoi au juste?
  • Aucune idée.
  • Pense à ce que tu aimes faire?
  • Je ne sais pas trop ce que j’aime faire…
  • Allez, tout le monde sait ce qui leur est agréable. Pas besoin d’y penser des heures, c’est comme… inné! Un rêve, n’importe lequel!
  • Je ne me souviens pas de mes rêves… ça fait des années que je n’en ai plus.

Seule dans mon lit, je me parle à voix haute, comme ça je me sens moins seule et j’ai l’impression d’arriver à pousser ma pensée un peu plus loin. Mon estime de moi est anéantie, je ne sais pas par où commencer.

J’ai l’impression d’avoir une roche dans le crâne, une roche qui me donne trop mal à la tête pour penser. Toute la coke que j’ai fait disparaître hier soir ainsi que les shots de Jameson que j’ai bus pour bien faire descendre cette came ont comme assommé ma raison.

Je me fais un café instantané depuis ma cuisine toute délabrée, et malgré tout ce qui m’entoure je reprends confiance en moi, je suis capable de gérer ça.

Il faut que je déménage, je dois mettre fin à ma relation. J’habite dans un environnement toxique.

Je ne sais pas comment je vais arriver à obtenir un logement, je n’ai rien en banque à mon nom, tous mes revenus ont été reçus en argent comptant depuis bientôt 3 ans, et la grande majorité des profits que j’ai fait a été saisie par un proxénète.

Même si j’arrivais à signer un bail, je n’ai pas de crédit, je ne sais pas comment je vais arriver à me procurer des meubles et le nécessaire pour habiter mon nouveau chez moi…

Comment pourrais-je décrocher un emploi, mon CV est blanc comme un drap, je n’ai pas complété mon diplôme d’études secondaires…

Je ne sais pas par où commencer pour sortir de la prostitution, c’est comme impossible à faire…

Je cherche une ressource d’aide, le gouvernement doit bien être capable de m’aider après tout ce n’est pas pour rien que le Québec paie des taxes!

Je n’ai toutefois pas de pièces d’identité, je n’ai pas de certificat de naissance, je ne peux pas avoir accès aux services de santé et aux services sociaux.

Je me présente aux bureaux de la RAMQ, mais je n’ai aucune preuve d’adresse alors on me renvoie chez mon proxénète.

On m’explique qu’il me faut une pièce d’identité pour faire une demande de certificat de naissance, puis qu’il me faut faire partie d’une organisation qui me fournira une preuve de résidence, ou qu’il faut qu’un membre de ma famille ou un proche soit en mesure de donner une adresse pour recevoir ledit certificat. Le problème, c’est que je ne peux pas mettre mon adresse actuelle, car c’est là que le proxénète qui abuse de moi habite et je ne veux pas qu’il sache que j’essaie de fuir… Les mots me manquent pour expliquer tout ça à la demoiselle au comptoir des services, je fonds en larmes et je quitte les lieux sans dire un mot de plus.

 


 

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Texte fictif de Dominique Marzec